18 de març 2004

Salvador Dalí et l’inconscient du papier blanc
















Où est donc l’inconscient ? - Dans le papier blanc, pourrait-on répondre à lire le témoignage du peintre-écrivain Salvador Dalí sur sa rencontre avec un jeune Jacques Lacan dans les années trente. La célébration cet année 2004 en Catalogne de l’Année Dalí – c’est le centenaire de sa naissance - nous offre l’occasion de revenir sur la place que l’inconscient et la psychanalyse avait eu pour ce paranoïaque si prolifique qui avait rencontré aussi Sigmund Freud, rencontre dont un des résultats fût le formidable portrait du maître avec le crâne-escargot.
S’il se reconnaissait d’une part marqué au fer rouge par les théories de Freud, il s’intéressera très tôt à l’étude de la paranoïa pour bâtir sur sa certitude la célèbre « méthode paranoïaque-critique » comme une « méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’association interprétative des phénomènes délirants ». Cette méthode a eu des résultats tout à fait étonnants dans la découverte du réel, par exemple, dans l’intuition délirante qui l’a mené à la rencontre du cercueil caché dans le fameux tableau de l’Angélus de Millet. On peut lire à ce propos son livre Le mythe tragique de l’Angélus de Millet (J.-J. Pauvert, 1978) où il cite le docteur Jacques Lacan pour rapporter un entretien avec un malade paranoïaque dans la même veine de sa méthode.
La définition dalinienne du mécanisme paranoïaque rendait caduque, en effet, la conception psychiatrique de la paranoïa comme une « erreur de jugement » et donnait au délire le statut d’une interprétation de la réalité dans une activité créatrice logique. Le jeune psychiatre Jacques Lacan, qui est en train d’élaborer en 1932 sa thèse De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité ne pouvait qu’apprécier énormément cette voie de recherche et il sollicita un rendez-vous avec le peintre-écrivain. Le témoignage de Dalí sur la rencontre est rapporté – avec quelques imprécisions de dates à retenir- dans son livre de 1942, La vie secrète de Salvador Dalí (Gallimard 2002). On trouvera aussi un récit et un commentaire très instructives de cette rencontre amusant dans le livre de José Ferreira, Dalí-Lacan. åLa Rencontre. Ce que le psychanalyste doit au peintre (L’Hartmattan, 2003). Lacan vient de lire dans le premier numéro de la revue Le Minotaure l’article de Dalí, « Nouvelles considérations générales sur le mécanisme du phénomène paranoïaque du point de vue Surréaliste ». Il est le prologue à l’ « Interprétation Paranoïaque-critique de l’Image obsédante ‘L’Angélus’ de Millet ». Cet article vient d’être publié, comme par hasard, dans le même numéro de la revue et juste avant celui du Dr. Lacan « Le problème du style et la conception psychiatrique des formes paranoïaques de l’expérience ». La tuché de la rencontre dans l’espace de la revue viendra être scellée par celle d’une autre rencontre que Dalí mettra au compte de sa inquiétante destinée : « Je parais destiné à une excentricité terrifiante, que je le veuille ou pas ». å
En effet, Salvador Dalí passera tout l’après-midi dans son atelier en attendant Jacques Lacan dans un état « d’extrême agitation face à la perspective de l’entretien» et en essayant de la planifier, tant il veut que cet entretien soit « sérieux et normal ». Au même temps, il continue à travailler dans le portrait de Marie-Laure de Noailles qu’il est en train de réaliser sur la surface brillante du cuivre. C’est cette brillance de miroir qui l’empêche de voir clairement les profiles du dessein : « J’avais remarqué que je voyais beaucoup mieux ce que je faisais là où les reflets étaient plus brillants. Donc, je collais au bout de mon nez un petit carré de papier blanc d’un demi pouce. Sa réflexion faisait parfaitement visible le dessein des parties où je travaillais ».
Jacques Lacan arrive ponctuel ment à l’entretien. Salvador Dalí garde son cuivre-miroir et la rencontre se poursuit dans une « discussion très technique ». Ils sont, tous le deux, radicalement opposés aux théories organicistes de la psychose et ils partagent les mêmes raisons sur la logique et la structure du délire paranoïaque. Après deux heures de conversation intense, Jacques Lacan part avec la promesse de la poursuivre dans des nouveaux rencontres. Salvador Dalí reste avec l’impact et la perplexité d’une rencontre inédite mais aussi avec l’impact d’un certain regard du psychiatre qui scrutait de temps en temps son visage avec un sourire énigmatique. - Qu’est-ce qu’il me veut ? Ce ne sera qu’un moment après, quand Salvador ira se laver les mains, qu’il rencontrera dans le miroir, un autre miroir maintenant que celui du cuivre de son tableau, la réponse collée dans son propre visage :« Pendant deux heures j’avais discuté sur les sujets les plus importants avec le ton de voix le plus précis, objectif et grave, sans me rendre compte de l’ornementation troublante dans mon nez ». L’acte de l’oubli avait mis un blanc dans l’image du moi, symétrique à celle qui l’avait permis de continuer à travailler dans son tableau avant l’entretien, un blanc qui lui avait permis aussi de maintenir l’entretien au-delà de ce qu’il avait planifié, dans une rencontre qui fera date pour les deux sujets. À Salvador Dalí d’interpréter ce « papier blanc » de son inconscient par son côté signifiant : « Quel cynique aurait pu représenter ce rôle [« papel », papier] jusqu’à la fin ? » En effet, le rôle cynique du moi, - ce rôle que Dalí avait porté au statut d’Ego, dans la même fonction que Lacan lui donnera dans son enseignement sur les psychoses dans les années 70’ – c’est toujours de faire écran au sujet de l’inconscient.