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22 de gener 2023

Idéologies

 

Text publicat a L'Hebdo-Blog 288 - Chronique Du Malaise

Le discours de la psychanalyse serait-il exempt de toute idéologie ? Devrait-il l’être ? Rien de plus incertain si l’on entend par idéologie l’ensemble des idées que chacun se fait d’un système de liens – économiques, sociaux et finalement toujours politiques – afin de les conserver, de les transformer, de les restaurer ou bien de les subvertir.

En fait, c’est Lacan lui-même qui avait mis en lumière, dans les années soixante, « l’idéologie œdipienne » [1] que les psychanalystes de son temps avaient transmise, sciemment ou pas, à l’imaginaire social en confondant la structure œdipienne avec la famille nucléaire. Ce n’était pas un fait évident pour les analystes de ce moment, et peut-être ne l’est-ce pas encore aujourd’hui. Par exemple, le projet de recherche entamé par Jacques-Alain Miller sous l’épigraphe de « psychoses ordinaires » – qui n’est pas une nouvelle classification gnoséologique –, pourrait se comprendre comme un essai de dépasser certaines conséquences de cette idéologie dans l’expérience.

L’attribution d’une idéologie à l’analyste est donc à l’ordre du jour et il n’est pas sûr qu’il puisse s’en débarrasser dans le silence d’une neutralité bienveillante.

Il faudrait dès lors approfondir la question : quelle est la place de l’idéologie dans le discours de la psychanalyse ? Rien qu’en parcourant l’« Index raisonné des concepts majeurs » des Écrits de Lacan, on trouve à la page 902 une section entière consacrée à la « Théorie de l’idéologie ». On y voit le fil qui traverse le premier enseignement de Lacan, qui part de l’idéologie de la liberté dans la théorie du moi autonome, qui se poursuit avec l’humanisme et la défense des droits de l’homme, l’anthropomorphisme, les idéaux de maturation des instincts, et qui arrive à l’idéologie de l’évolutionnisme et du scientisme contemporain. Un autre fil suit les conséquences de l’idéologie américaine, avec des idéaux de bonheur et des valeurs individuelles de la personne autonome qui ont également été promues par une fraction de psychanalystes. Cette idéologie fait partie aujourd’hui des préjudices non reconnus du moi dont le psychanalyste devrait être toujours averti.

Cependant, il serait trop réductionniste de s’en tenir seulement à une critique de l’idéologie d’autonomie du moi avec ses identifications imaginaires. La question devient plus épineuse si l’on suit une autre référence de Lacan dans son texte de 1972, « L’étourdit », lorsqu’il définit le point de départ de son enseignement : « C’est pourquoi je pars d’un fil, idéologique je n’ai pas le choix, celui dont se tisse l’expérience instituée par Freud. Au nom de quoi, si ce fil provient de la trame la mieux mise à l’épreuve de faire tenir ensemble les idéologies d’un temps qui est le mien, le rejetterais-je ? Au nom de la jouissance ? Mais justement, c’est le propre de mon fil de s’en tirer : c’est même le principe du discours psychanalytique, tel que, lui-même, il s’articule. » [2]

On part donc d’un fil qui est toujours idéologique, sans choix possible. Il ne pourrait être rejeté qu’à partir d’une position de jouissance qui se voudrait extraterritoriale, position dont le psychanalyste doit, justement, « s’en tirer ». En ce point, la position du discours du psychanalyste est nécessairement séparée des positions de jouissance prises par les autres discours. Cependant, elle ne serait pas moins une position idéologique.


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[1] Lacan, J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 256.

[2] Lacan, J., « L’étourdit », Autres écritsop. cit., p. 476-477.


Soigner les institutions


Text publicat a L'Hebdo-Blog 287 - Chronique Du Malaise

Les institutions peuvent tomber malades, de la même façon qu’un sujet peut devenir malade. Chaque institution a aussi ses événements traumatiques, ses refoulements, ses oublis, ses retours du refoulé, ses malaises, ses symptômes, ses ségrégations, voire ses délires. Entendre une institution comme un sujet n’est pas du tout évident, mais c’est la conséquence de l’hypothèse freudienne selon laquelle la « psychologie sociale » est une extension de la « psychologie individuelle » [1]. Jacques Lacan avait reformulé cette extension du registre individuel au registre social avec une définition du collectif dont les conséquences sont toujours à développer. Cette définition reste au fondement de l’expérience même de « l’École-sujet » [2], telle que Jacques-Alain Miller l’a orientée. « Le collectif – écrivait Lacan – n’est rien, que le sujet de l’individuel. » [3] Il n’y a pas d’inconscient collectif, fantaisie jungienne que l’œuvre de Freud contredit point par point et que Lacan avait réfuté d’emblée. Cependant, il y a le collectif qui n’existe que comme un sujet, un effet de signifié qui traverse l’individualité de chaque membre du groupe social et ses institutions. Et cela dans la mesure où ce membre, avec chacun des autres, se fait cause du désir qui institue un sujet dans le collectif.

Voici, donc, une différence à noter entre le groupe ou la masse, dans le sens freudien, et un collectif tel que Lacan l’a défini : un collectif peut faire du désir qui l’institue un sujet pour chacun de ses membres individuels, un sujet qui les traverse, qui est transindividuel. Se faire cause de ce sujet transindividuel, le traiter avec chacun des autres membres, cela demande un travail permanent d’élaboration provoquée, cela demande à chaque membre de se faire agent provocateur de ce travail pour chacun des autres, un agent étranger au sentiment identitaire du groupe, pour le faire devenir un collectif Autre – Autre pour soi-même, tel que Lacan le disait de la position féminine. C’est ainsi qu’un collectif peut prendre soin de lui-même dans les inerties et les malaises de toute institution.

Cette brève digression sur l’institution comme un collectif, sujet de l’individuel, me sert pour évoquer un livre récemment publié – d’abord en langue catalane, ensuite en langue espagnole, et maintenant en langue française – par Joana Masó, sous le titre « Soigner les institutions » [4]. Cet ouvrage est dédié à la figure et au travail de François Tosquelles, le psychiatre et psychanalyste catalan qui, exilé en France après la guerre civile en Espagne, a été le promoteur de ladite « psychothérapie institutionnelle », un courant inspiré des premiers enseignements de Lacan. Notre collègue Jean-Robert Rabanel, qui a connu F. Tosquelles au moment de rencontrer la psychanalyse, a fait un très bon repérage de son importance et aussi des dérives de ce mouvement [5].

Soigner les institutions n’est pas thérapeutiser l’inguérissable du sujet, mais savoir interpréter ses symptômes de façon telle que le collectif, comme sujet de l’individuel, s’y reconnaisse.


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[1] Cf. Freud S., « Psychologie des foules et analyse du moi » [1921], Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 123-217.

[2] Cf. Miller J.-A., « Théorie de Turin sur le sujet de l’école (2000) », La Cause freudienne, n°74, p. 132-142. Consultable à https://www.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2010-1-page-132.htm

[3] Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 213, note 2.

[4] Masó J., François Tosquelles. Soigner les institutions, Paris, L’Arachnéen & Arcàdia, 2021.

[5] Dans une intervention à la bibliothèque de l’École de la Cause freudienne, le 10 mars 2003, sur François Tosquelles et la thèse de Jacques Lacan « De la psychose paranoïaque dans ses relations avec la personnalité » [1932].

    26 de febrer 2016

    Le corps parlant et ses états d'urgence


    En chemin vers le Xe Congrès de l’AMP qui aura lieu à Rio de Janeiro, au mois d’avril prochain, sur « Le corps parlant. Sur l’inconscient au XXIe siècle », la soirée spéciale de l’AMP ce lundi 1er février a pris un versant d’actualité pour traiter ce sujet*. Cette actualité marque à nouveau la temporalité de nos Écoles. Les événements des derniers mois à Paris, difficiles pour tous mais particulièrement pour nos collègues français, ainsi que les situations de violence générée dans d’autres lieux, nous amènent à une réflexion sur les situations d’urgence subjective produites par l’irruption d’un réel dont nous sommes encore loin de voir toutes les conséquences.
    Ce que nous désignons, à partir de l’enseignement de Lacan, par le corps parlant vit en réalité en permanent « état d’urgence » par le fait qu’il est habité par la pulsion, cette exigence immédiate de satisfaction. Que se passe-t-il quand cette exigence se fait présente depuis l’extérieur, dans la rupture même des liens sociaux, comme pure pulsion de mort, et toujours sous une forme distincte pour chaque sujet ? Les états d’urgence prennent dans chaque cas des modes singuliers de réponse qui échappent à toute explication sociologique.
    Les collègues, membres du Conseil de l’AMP qui vivent dans des villes diverses de nos Écoles, ont traité cette question dans la soirée avec le tact et la fine sagesse qu’on peut tirer de l’enseignement de Lacan. Un même fil a traversé ces élaborations, celui du temps logique qui marque toujours la réponse du sujet de l’inconscient au réel impossible à symboliser. Et cela dans l’articulation de deux dimensions temporelles.
    Il y a d’une part le temps du langage, un temps qui se pose comme éternel dans la mesure où on peut toujours ajouter un signifiant à un autre signifiant dans un glissement infini de la signification. Cela a été de toujours – c’est le cas de le dire – le temps de la religion, du sens même qui dans l’imaginaire pose cette infinitude comme inhérente au temps. Le paradoxe c’est qu’aujourd’hui c’est la techno-science même qui promeut déjà cette éternité en prenant la relève de l’Autre du langage dans une course d’Achille poursuivant sa tortue. En fait, on croit à l’éternité plus que ce qu’on croit. Le sujet du langage, le sujet de la chaîne signifiante se pose comme éternel, tel que le fantasme obsessionnel le fait entendre jusqu’à éprouver la torture d’assister à sa propre mort. C’est ce sujet éternel du signifiant dont un Sade voulait effacer toute trace de la surface de la terre.
    D’autre part, l’expérience d’avoir un corps parlant implique l’expérience d’une limite temporelle, et cela toujours comme une urgence subjective. Dans la mesure où le corps est un corps parlant, affecté de la jouissance, de la pulsion justement appelée par Freud « pulsion de mort », il est mortel.
    Entre ces deux dimensions, le destin du corps parlant est joué dans ses états d’urgence. Dans cette perspective, le temps logique déployé par Lacan au commencement de son enseignement, – ce temps marqué par l’instant du regard, le temps pour comprendre et le moment de conclure – implique toujours, en effet, un sophisme, c’est à dire un raisonnement logique qui inclut une certaine tromperie. Il se pose comme un temps qui se développe à partir de la structure du langage dans les rails du signifiant mais il y a dans son train un voyageur secret : la pulsion même qui habite dans l’instant du regard et qui fait sa boucle autour d’un objet qui est le regard même. Le regard comme objet pulsionnel introduit un court-circuit dans le temps logique, un court-circuit dans le temps pour comprendre, qui précipite le sujet dans l’acte dans la hâte, dans l’urgence. On ne peut pas résoudre la conclusion de l’acte dans le temps logique sans faire entrer la pulsion dans son train. C’est par cette raison qu’il s’agit finalement d’un sophisme dans ce temps logique qui n’échappe pas à la double dimension temporelle du temps infini du langage et du temps cyclique de la pulsion. C’est la pulsion en fait qui précipite le sujet dans son acte.
    Dans cette conjoncture, il y a un paradoxe qui fait notre actualité : plus on promeut l’éternité pour sujet, plus on le pousse à l’urgence subjective ; plus on déplace le sujet dans la chaîne infinie du signifiant, plus on obtient son angoisse comme signe d’un réel, plus on trouve un sujet hyperactif, un sujet poussé à l’acte.
    Le sujet de notre temps vit donc entre la métonymie infinie induite par le langage et l’expérience du corps limité par la pulsion de mort et son exigence de satisfaction immédiate. En fait, c’est le temps qui nous impose la techno-science avec ses gadgets, du portable à Internet : on est toujours poussé ailleurs, on est toujours ailleurs que là où est notre corps parlant. Le temps pulsionnel introduit ce court-circuit dans le temps du langage, il y fait irruption d’une façon qui arrive même à l’angoisse. On connaît déjà les effets divers d’addiction, de jouissance dans ce déplacement infini qui pousse le sujet à l’urgence de l’acte.
    Le corps parlant est ce nouage même entre le corps et lalangue que nous désignons aussi avec le concept de pulsion. La pulsion est toujours l’expérience d’une urgence subjective par rapport au temps infini du langage. Du côté de la pulsion, comme on le verra dans les exposés de cette soirée, on est toujours trop en retard ou bien trop en avance.
    Ce « trop » qui habite le corps parlant est ce qui se fait présent dans toute expérience traumatique qui motive l’urgence subjective.
    Dans cette perspective, notre collègue Oscar Zack, de Buenos Aires, fait une subtile reconsidération du temps logique où l’urgence subjective devient le signe d’un réel impossible à supporter mais aussi le facteur nécessaire pour arriver au moment de conclure dans ce temps. C’est en fait la remarque qu’on peut déjà trouver chez Lacan dans son discours de Rome de 1953 : «  Rien de créé qui n’apparaisse dans l’urgence, rien dans l’urgence qui n’engendre son dépassement dans la parole. » L’urgence subjective est la condition de toute création effective. En même temps, la parole, le temps du langage, sont la condition de toute création pour dépasser cette urgence. Dans cette articulation entre les deux temps, il n’y a jamais de rencontre prévisible, il n’y a que la pure contingence.
    Juan Fernando Pérez, de Medellín, reprend à nouveau le temps logique comme temps de l’angoisse : entre la menace qui suspend l’acte face à la figure de l’Autre méchant et le combat qui le transforme en ennemi. Et il souligne deux réponses possibles qu’il a rencontrées dans la clinique des états d’urgence : l’insomnie, une sorte de « procrastination circulaire », et l’état d’alerte généralisée qui précipite la fuite, la hâte, devant un signe quelconque de danger. L’état d’urgence prend sa place donc entre procrastination et hâte sans pouvoir rencontrer le kairós aristotélicien, le moment opportun de l’acte. Dans cette conjoncture de l’impossible, il nous propose la subtilité d’un « style tardif » qui habiterait l’acte de création.
    De son côté, Marcus André Vieira, directeur du prochain Congrès de l’AMP à Rio de Janeiro, introduit l’instance du surmoi et de l’angoisse dans l’urgence subjective. Notre paradigme pour traiter l’urgence est l’angoisse qu’il faut faire dé-consister à rebours du surmoi, cette voix qui regarde le sujet en lui imposant une jouissance. Il introduit un nouvel élément dans la logique temporelle de l’urgence, c’est la « résonance asémantique » de la voix dans le corps parlant, instance de lalangue hors sens, partie non signifiante de la voix, croisement entre signifiant et jouissance, qui n’a pas un objet prédéterminé mais qui introduit le temps de la contingence. Un savoir faire, donc, avec la contingence pour faire face à l’urgence du surmoi.
    Patricia Bosquin Caroz, enfin, nous fait part d’une expérience décidément subjective en deux temps à partir des deux événements tragiques qui ont secoué la ville de Paris les derniers mois : celui des attentats du 7 et 9 janvier 2015 à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, et celui des attentats du 13 novembre. Il y a eu, en effet, deux réponses différentes à chaque événement, une identification massive au signifiant maître et la bascule du groupe formé comme réponse à l’irruption d’un réel entre un silence imposé et un silence voulu, entre le silence imposé par la terreur et un silence parlant qui s’est fait présent aussi dans le rues de la ville. Il y a donc un temps de silence nécessaire au temps pour comprendre dans un deuil.
    Enfin, si on peut conclure dans une formule pour scander ce nouveau temps logique qui marque le temps de l’urgence subjective de notre temps, on peut prendre la formule lancée par Éric Laurent dans un débat riche en nuances : « Finie l’éternité ! »

    *9 Février 2016, dans l’après-coup de la soirée préparatoire au congrès de l’AMP, qui s’est tenue au local de l’ECF le 1er février 2016. Texte publié dans L'Hebdo-Blog nº 61.

    28 de juny 2013

    Psychanalyse, science, technique

















    par François Ansermet et Miquel Bassols


    Ce texte est la contribution ou « written statement » présentée par l’Association Mondiale de Psychanalyse, —avec « consultative status » dans l’Organisation des Nations Unies—, au 2013 High Level Statement de l’ECOSOC (Economic and Social Council) qui se tient à Genève, 1-4 Juillet 2013.



    Si l’on doit distinguer de plus en plus entre effets de la science et effets de la technologie c’est dans la mesure où le dernier siècle a vu naître une nouvelle alliance entre le pouvoir politique et le savoir scientifique*. Les effets de la technique sur le sujet de notre temps vont bien plus au-delà de la volonté de savoir qui avait orienté le discours scientifique dès sa naissance et ils gouvernent déjà les domaines les plus intimes de notre vie (les formes de communication et de lien social, les divers versants de la santé, aussi de la santé mentale, les choix de la descendance, etc.) Ce qu’on a désigné de façon plus ou moins réussi avec le terme de technoscience répond à cette nouvelle époque des incidences du savoir scientifique sur les formes de vie. Son commencement peut être daté dans le tournant historique représenté par le rapport Vannevar Bush (1945), qui a établie les principes et les lois de la big science, avec les nouvelles conséquences de la recherche scientifique dans chaque contexte social et politique.

    Dans cette nouvelle époque, les scientifiques eux-mêmes sont confrontés à des nouveaux problèmes éthiques, non pas seulement sur l’usage qu’on pourra faire des avancés de la science mais sur la nature même de son expérience. Le surgissement des comités d’éthique dans les années 80’ et son extension progressive a été un signe que les avancés scientifiques doivent être accompagnés d’une analyse et d’une suivie de plus en plus large et intensive des effets de la technoscience sur le sujet de notre temps.

    Un exemple est celui de la médecine digitale qui repose sur un partage des données, en particulier à travers des bio-banques on line. Des sites tels que Patients-LikeMe ou Carenity proposent de partager les dossiers médicaux afin de créer une immense banque de données, ou le cas de chacun contribue à l’ensemble. Cette vision fait éclater le secret médical, son colloque singulier, pour aller vers une médecine participative à travers le Web où des réseaux sociaux vont se constituer autour de symptômes ou de maladies, aboutissant à une nouvelle constitution du savoir, mais aussi une universalisation du sujet où chacun pourrait perdre paradoxalement le sens de son existence singulière. 

    De telles possibilités technologiques peuvent provoquer la production de nouveaux symptômes qui vont émerger de sujets pris dans les vertiges induits par les avancées des technologies contemporaines et les dimensions impensables qui en résultent, points de butée autant pour ceux qui en bénéficient (ou qui les subissent) que pour ceux qui participent à les produire.

    La science bute aujourd'hui sur les conséquences de ses propres développements: d'où l'appel aux commissions d'éthique. Mais il faudrait aussi en passer par la confrontation avec la façon dont les sujets vont faire face à cela, c’est-à-dire faire retour à la clinique telle que la psychanalyse la conçoit, centrée aussi sur les solutions que peut inventer celui qui se confronte à l’expérience d’un réel qui le dépasse.

    24 de juny 2013

    "Dans la psychanalyse, il n'y a pas de savoir dans le réel"



















    Cette affirmation est ce que soutient Jacques-Alain Miller dans sa présentation du thème du IXe Congrès de l'AMP sur « Le réel au XXIe siècle »[1]. Son développement nous renvoie à la relecture d'un paragraphe de Lacan qui semble paradoxal ; il se trouve dans la « Note italienne » de 1973 et porte sur le point de conjonction-disjonction entre psychanalyse et science : « II y a du savoir dans le réel. Quoique celui-là, ce ne soit pas l'analyste, mais le scientifique qui a à le loger. L'analyste loge un autre savoir, à une autre place, mais qui du savoir dans le réel doit tenir compte. Le scientifique produit le savoir, du semblant de s'en faire le sujet. Condition nécessaire mais pas suffisante. »[2]
    D'un certain point de vue, il semble difficile de soutenir qu'il y a un savoir dans le réel, un savoir qui y serait déjà inscrit, un savoir qui lui serait naturel et inhérent. C'est pourtant bien, en effet, un supposé que nous rencontrons dans de nombreux développements de la science actuelle : il y aurait un savoir écrit dans le réel biologique – dans le gène ou le neurone, par exemple –, un savoir qui serait à déchiffrer selon la maxime de Galilée : « La nature est écrite en langage mathématique ». Mais cette Nature, qu'on écrivait alors en majuscules, est celle qui jadis équivalait au réel, cette même nature que la science moderne a trouvée dans un désordre de plus en plus manifeste, en particulier avec la physique du siècle passé (Cf. Schrödinger, par exemple), et cela continue dans le siècle actuel. À l'époque de Galilée, comme le signalait J.-A. Miller, « La nature était le nom du réel quand il n'y avait pas de désordre dans le réel. »[3] Le réel sans loi, auquel nous approchons dans l'expérience analytique orientée par le dernier enseignement de Lacan, se sépare ainsi de la Nature[4] gouvernée par un sujet supposé savoir, Dieu en l'occurrence, ou tout autre scribe de ces lois mathématiques qui doivent régir la trajectoire des corps célestes ou le savoir qu'aurait chaque cellule pour remplir sa fonction.
    Regardons alors de plus près le paragraphe de Lacan. « Il y a du savoir dans le réel ». L'usage français du partitif résiste toujours au passage à la langue castillane. Ce n'est pas qu'il y a un savoir, tel ou tel savoir, déterminé ou indéterminé, inscrit d'emblée dans le réel, mais que « du savoir » il y en a dans le réel. Comme on dirait : de l'eau, il y en a dans la mer[5]. Combien ? Nous n'en savons rien, il faut la mesurer, en mètres cubes, par exemple. Sauf que dans cette opération, pour interminable qu'elle soit, nous faisons deux choses à la fois. La première consiste à introduire le nombre et la quantité dans cette mer incalculable ce qui, comme la passe, est toujours à recommencer ; nous introduisons-là ce que le langage, le symbolique, véhicule du réel dans le nombre[6]. Pour la seconde nous sommes de fait en train de vider la mer de son eau ; nous la considérons maintenant comme un contenant vidable de cette eau que nous prétendons comptabiliser. Le nombre alors, à la fois véhicule un réel et vide ce réel de signifié, il le transforme en une chose aussi inimaginable et sans concept possible qu'une mer sans eau. C'est une image qui nous rapproche de ce qui du réel est le plus irreprésentable. Ce vide d'une mer sans eau est aussi le sujet du signifiant dès lors que nous le concevons comme une réponse du réel.
    Supposons ainsi que l'eau est le savoir et que la mer est le réel. Le scientifique loge alors le savoir de l'eau calculable dans la mer, toujours incalculable, du réel. C'est un savoir qui n'est pas là depuis toujours, à attendre d'être lu et déchiffré, mais un savoir que le scientifique a logé dans la mer pour la rendre représentable, dans l'opération même de sa découverte. Plus encore, ce savoir, le scientifique « doit le loger » nécessairement pour symboliser le réel, serait-ce au prix, comme Lacan le dira ailleurs, de le rendre muet. Et il le fait par une opération inverse de celle du transfert, si nous entendons par transfert la supposition d'un sujet supposé savoir – soit la supposition d'un savoir à l'Autre, soit la supposition d'un sujet au réel. L'opération du scientifique va à rebrousse-poil du transfert, en se faisant lui-même sujet de ce savoir qu'il loge dans le réel. Ou du moins le fait-il paraître, il fait « semblant » de se faire sujet de ce savoir. Qu'est-ce que voudrait réellement dire se faire sujet de ce savoir ? Cela voudrait d'abord dire s'identifier à son signifié, à l'Autre qui détermine le sens du savoir, et même à l'Autre de l'Autre qui dirait ce sens, s'il existait. Ce qui est purement et simplement délirant. En réalité, ni les corps célestes ni la cellule n'ont aucun savoir de sujet, quand bien même le scientifique les leur attribuerait – dans les deux sens du terme : que le scientifique leur attribue ce savoir de sujet, ou que lui-même s'attribue d'être le sujet de ce savoir.
    L'analyste pour sa part, loge un Autre savoir, le savoir de l'inconscient, et dans un Autre lieu, le lieu de l'Autre qui n'existe que par le transfert. Mais Lacan ne le situe pas dans une disjonction absolue dans la relation à la science. Son savoir et son lieu doivent prendre en compte ce savoir que le scientifique loge dans le réel, bien que celui-ci ne soit pas suffisant.
    Entre le nécessaire et le suffisant, le réel du savoir de l'inconscient ne cesse alors d'insister, encore. Dans la science aussi.

    Traduction Anne Goalabré Biteau
    1. Miller, J.-A., « Le réel au XXIe siècle », La cause du désir no 82, Paris, octobre 2012, pp. 88-94.
    2. Lacan, J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 308.
    3. Miller, J.-A., Op. cit., p. 89.
    4. « On remarquera que j'ai parlé du réel, et pas de la nature », écrit J. Lacan dans son « Introduction à l'édition allemande des Écrits », Autres écritsop. cit., p. 557.
    5. « De agua, hay algo en el mar ». Ce partitif existait en espagnol ancien : « Cogió del agua en él y a sus primas dió » (El Cantar de Mío Cid, 2800)
    6. Lacan, J., « Introduction à l'édition allemande… », op. cit., p. 558.

    08 d’octubre 2012

    A(u)théisme et croyance


















    Si la question de l’autisme* est devenue aujourd’hui un sujet de la politique c’est que le phénomène autiste est celui qui fait objection — de la manière la plus radicale qui soit — à la supposition d’un sujet à la parole et à la structure du langage, à la supposition donc d’un sujet de l’inconscient. C’est une objection à la croyance que tout autant la parole que le langage veulent dire quelque chose pour quelqu’un ; qu’ils contiennent un sens, plus ou moins ignoré, adressé à un autre sujet et que, par ce biais, ils résonnent dans son expérience de jouissance la plus intime. C’est par ce biais que la question posée par l’autisme touche aussi un fait de civilisation, un fait que nous pouvons designer comme le ravalement de l’usage de la parole et du langage dans ses effets sur la jouissance du corps de l’être parlant. C’est de ce ravalement aussi qu’on a trouvé le témoignage de la part des jeunes qu’on a appelés les « indignés » de nos jours. L’un de ses porte-parole en Espagne pouvait mettre l’accent, par exemple, sur le fait que les mots du discours politique avaient perdu son sens dans la rue, que la force des signifiés avait été affaibli dans son usage, et que ladite crise était surtout une crise du sens dans le langage, une sorte de crise de croyance —de confidence— dans le pouvoir de la parole et dans l’Autre du langage. Voici déjà un point d’intersection entre la politique et la clinique de l’autisme qui touche aussi le statut même du sujet de notre époque. C’est ce statut qu’on a abordé dans ces Journées à juste titre dans l’autisme conçu comme le statut premier de l’être parlant, un statut qui fait objection à l’Autre, à son lien de discours, un Autre, donc, dont on devra attendre la naissance, si non même la produire, —pour reprendre le titre de ce texte inaugural dans la matière de Rosine et Robert Lefort, « La naissance de l’Autre ». Il faut, en effet, produire chaque fois une naissance de l’Autre, dans la clinique comme dans la politique, chaque fois que les mots de la tribu —comme disait Paul Valery— ont perdu son sens par son usage ravalé. Et on connaît justement l’importance dans la clinique de l’autisme de ce moment presque inaugurale où la portée d’un mot isolé de la chaine, un signifiant tout seul, vient faire apparaître le « trognon de la parole », son pouvoir de création de l’Autre pour le sujet, toujours à rebours de son objection première.

    Un rejet de l’altérité
    Dans la clinique des sujets dits autistes, cette objection première apparaît d’emblée, sur le large éventail des « troubles du spectre autistique », comme une indifférence pour l’autre et, même, comme un rejet de l’altérité. On pourrait dire que le sujet autiste est celui qui ne croit pas du tout à l’Autre conçu comme un autre sujet. Il n’y croit pas ! Il est marqué de cette incroyance (Unglauben) que Freud avait déjà repérée dans la causalité des psychoses et qui touche, dans le cas de l’autisme, toute forme d’altérité, dans une sorte d’athéisme fondamental de l’Autre. Dans ce sens, le sujet dit autiste est l’incroyant par excellence. Il est, peut-être, le seul véritable athée dans un monde qui, malgré tout, essaye de faire exister l’Autre et ce, d’y croire malgré son inexistence de départ.
    Cette sorte d’athéisme de l’autisme dit aussi quelque chose de fondamental sur ce sujet post-humain du XXIème siècle que la psychanalyse rencontre; ce siècle marqué par un désordre dans le réel, comme cela est souligné par le thème choisi pour le prochain Congrès de l’AMP à Paris, en 2014. La croyance au sujet, spécialement au sujet de l’inconscient, au sujet comme un effet de la parole et du langage, n’est en rien évidente. Ce sujet est plutôt replié sur sa jouissance que nous qualifions d’autistique dans la mesure où la pulsion, dans son parcours d’allé et retour sir le corps, ne suppose pas un sujet, dans la mesure où elle est acéphale du côté de ce sujet comme, à l’occasion, Jacques Lacan a pu l’indiquer.
    Le phénomène autiste se présente alors aujourd’hui, dans une généralisation toujours plus extensive, comme un manque de lien social avec l’autre, comme une absence de communication verbale, comme un manque de réciprocité intersubjective et affective, comme l’insistance répétitive et insensée de certains comportements. Si tout cela apparaît profondément troublant et même intolérable ce n’est, en dernier lieu, que comme étant le signe d’une grande difficulté à concevoir un sujet — un signifié — à ce qui, tout de même, nous apparaît comme un fait irréductible du langage, la pulsion se repliant sur le corps dans ses propres bords. Donc, il s’agit aussi de notre difficulté à croire que, dans le phénomène autiste, il y a un sujet supposé, un sujet pris comme signifié. Et c’est cette difficulté même qui nous pousse à réduire ce phénomène à une conduite ou bien à un trouble organique. C’est, en effet, la pente qui a pris toute une série de méthodes de dressage de l’individu quand cette fonction du sujet reste effacé de son action. Cette approche se banalise et se répand à un point tel que — comme l’a indiqué récemment Éric Laurent dans le journal Lacan Quotidien[1] — se pose la question de savoir si, dans ce que le terme autisme recouvre aujourd’hui, il s’agit finalement d’une épidémie ou bien, justement, d’un « état ordinaire du sujet ».

    Un sujet supposé
    Ainsi, l’objection autistique au sujet supposé va de pair, dans sa radicalité, avec la question que Jacques Lacan lui-même s’était posée dans les années soixante comme un question de principe dans l’expérience analytique : « La structure du langage —disait-il en 1964— une fois reconnue dans l'inconscient, quelle sorte de sujet pouvons-nous lui concevoir ? »[2] Et, en effet, la question décisive aujourd’hui dans la clinique et le traitement de l’autisme est finalement de savoir si l’on suppose, ou pas, un sujet aux phénomènes cliniques recouverts par ce terme et quelle sorte de sujet pouvons-nous lui supposer. Il s’agit dans ce choix — soulignons-le — d’une question aussi politique que clinique et on ne voit pas comment en sortir sans un quelconque recours à la croyance.
    Même le discours de la science n’arrive pas à s’en passer du recours à cette croyance. Soutenir par exemple que des souris mutantes peuvent avoir des « conduites comme des enfants autistes » — autistic-like behaviours lit-on dans une littérature actuelle qui se prétend scientifique[3] — et prendre alors la conduite de ces souris comme une base pour la démonstration d’une causalité génétique de l’autisme c’est aussi une croyance, plus ou moins inconsistante, mais bien comparable à quelque autre dans la mesure qui suppose un signifié, un sujet à une conduite quelconque. En fait, s’est la croyance à une extension généralisée du Dieu créateur de la parole et du langage jusqu’au plus petit coin de la nature, jusqu’à le supposer dans le gène même de la souris mutante qui pourrait faire alors signe d’un lien à l’Autre, ou bien aussi de sa rupture. La perspective critique qui a surgi dans la science même à l’endroit de tels arguments, d’un ton toujours animiste, a désigné cette croyance avec le terme de « mereological fallacy » — une fausseté méréologique —,  un mirage qui traverse une partie importante des neurosciences d’aujourd’hui et qui consiste à dire, par exemple, que « le cerveau pense », mais aussi que « la souris répond ». Ce sont des énoncés qui semblent évidents mais qu’il faut interroger de plus près. Maxwell Bennet et Peter Hacker[4], par exemple, —dans un débat qui se poursuit il y a déjà quelque temps dans le champ des neurosciences—, ont pu signaler que de telles affirmations confondent la fonction d’une partie avec la fonction de la totalité de l’individu. Dire que « le cerveau pense » ou bien qu’ « une neurone répond à un message » quand on observe en réalité seulement une réaction à un stimulus, c’est une fausseté méréologique du même ordre que de dire, par exemple, que « le gâteau d’anniversaire a été coupé par les nerves efférents cervicales 5 et 8 de la moelle épinière. » Il s’agit de la même supposition implicite, de la même croyance dont Jacques Lacan avait déjà fait la critique dans les années quarante du siècle passé, dans son débat avec l’organo-dynamisme d’Henri Ey, à propos de la fameuse « activité psychique » conçue comme le corrélat attribué a la réaction observée dans une partie quelconque du système nerveux. Si on tient compte, d’ailleurs, du fait que le 95 % de l’activité du neurotransmetteur de la sérotonine se passe, non pas dans le cerveau mais dans les intestins, alors on pourrait conclure aussi dans la certitude d’une « pensée intestine », à force seulement d’y supposer un sujet de cette pensée. C’est en fait ce que Jacques Lacan lui même avait répondu au cognitivisme naissant de Noam Chomsky dans sa rencontre avec lui dans les années 70 : vous croyez que vous pensez avec le cerveau, mais moi, personnellement, je pense avec mes pieds.
    Quand même, supposer un sujet à la souris, un sujet qui pourrait d’ailleurs rejeter l’Autre, ne devrait pas avoir des conséquences aussi funestes sinon par le fait que cela peut autoriser du même coup à traiter le sujet lui-même comme une souris. En tout état de cause, ce sera une croyance beaucoup plus dégradante pour le sujet en question que d’autres croyances qui se réclament d’un humanisme déjà passé de mode.

    Y croire ou le croire
    À cet Autre, le sujet dit autiste, lui, il n’y croit pas. C’est en fait une différence avec le sujet psychotique, dont Lacan disait que, bien qu’il soit aussi affecté par l’Unglauben, par l’incroyance au symbole fondamental, cela ne l’empêchait pas de croire à son symptôme, et non seulement d’y croire mais aussi de le croire quand il s’agit, par exemple, des voix hallucinées. Le sujet psychotique peut arriver donc à croire sa voix hallucinée. Y croire ou le croire —c’est une différence très utile que nous permet la langue française et que Lacan commentait ainsi dans son Séminaire RSI : « La différence est pourtant manifeste entre y croire, au symptôme, ou le croire. C'est ce qui fait la différence entre la névrose et la psychose. Dans la psychose, les voix, tout est là, ils y croient. Non seulement, ils y croient, mais ils les croient. Or, tout est là, dans cette limite. »[5]
    Arrêtons-nous à ce que Lacan précise de cette croyance : « Y croire, ça ne peut vouloir dire sémantiquement que ceci : croire à des êtres en tant qu'ils peuvent dire quelque chose. »[6] Le fondement de la croyance est donc cette possibilité d’attribution d’un être à l’Autre dans la mesure où il peut nous dire quelque chose, quelque chose de signifiant qui s’adresse alors au sujet dans le registre du signifié et de la signification. Cela n’implique pas nécessairement de croire à ce qu’il dit, cela n’implique pas nécessairement de le croire ; bien au contraire, ce n’est que par la possibilité d’y croire que l’on pourra arriver à mettre en doute ce qu’il dit. Dans le cas du sujet dit autiste, il n’y croit pas, il n’entend que lui même, —et c’est pour cette raison, par ce fait de ne s’entendre que lui-même, que Lacan indique qu’on est arrivé à le nommer autiste. Mais, c’est justement pour ne pouvoir y croire qu’il ne peut pas, non plus, mettre en doute ce qu’il entend, ce qu’il entend de lui-même ou bien de tous les autres « lui-même » qui s’adressent à lui.
    Ainsi, il importe de se demander ce qui peut se passer quand quelqu’un ne peut mettre en doute ce qu’il entend ; ce qu’il entend sans pouvoir croire que cela vient d’un être censé lui dire quelque chose. On peut croire — et je dis bien, croire — que c’est une sorte de torture que de l’obliger à entendre et à obéir à quelque chose de l’autre d’une façon systématique, c’est-à-dire de l’obliger à le croire, sans y croire.  Voilà la question qu’on devrait poser aux techniques de dressage du sujet qui se répandent quelque fois sou le nom de « science ».

    Un sinthome
    La pratique de la psychanalyse se fonde, il est vrai, sur une croyance, celle du sujet de l’inconscient. C’est en fait ce que nous désignons comme le transfert, la croyance et même l’amour au sujet de l’inconscient. Mais l’acte, par contre, l’acte analytique vise à séparer ce sujet des signifiants qui l’ont fait croyant, un croyant sans qu’il le sache, sans savoir de quels signifiants inconscients il est le serf. Et c’est dans cette logique du transfert, après en avoir fait l’expérience dans l’analyse, qu’on arrive à trouver une façon de traiter le sujet dit autiste sans vouloir le faire croire, —cela veut dire aussi sans vouloir le convertir à une norme ou bien sans vouloir l’éduquer à tout prix. Dans chaque cas, il s’agit de trouver les conditions pour construire avec lui un objet particulier, le nommé objet autistique, dont témoigne de façon tout à fait probante la clinique du cas par cas, —tel que nous l’avons vu aussi dans ces Journées—, un sinthome qui puisse fonctionner pour lui comme point d’appui dans sa vie, toujours comme une suppléance de toute croyance possible.


    * Intervention en salle plénière dans les 42e Journées de l'École de la Cause freudienne, Paris, 6,7 octobre 2012.

    [1] Eric Laurent, « Autisme: Épidémie ou état ordinaire du sujet ? », Lacan Quotidien nº 194, 10 avril 2012.
    [2] Jacques Lacan, Écrits, Du Seuil, Paris 1966, p. 800.
    [3] Voir par exemple, Peça J. et alii, Shank3 mutant mice display autistic-like behaviours and striatal dysfunction. Nature, 2011 Apr 28: 437-42.
    [4] Bennet M. R. et Hacker, P.M.S., (2003), La naturaleza de la conciencia, Barcelona: Paidós, 2008.
    [5] Jacques Lacan, Le Séminaire XXII, RSI, 21.1.75. Ornicar? nº 3.
    [6] Jacques Lacan, Ibidem.