14 de març 2012

Pablito et La Gioconda











Pablito — « Petit Paul », c’est ainsi qu’on a désigné cet appareil high-tech, une sorte d’androïde qui est aujourd’hui disposé en face du fameux tableau du Gernika de Pablo Picasso dans le Museo de Arte Reina Sofía de Madrid. Comme un voyeur nocturne et permanent du désastre, Pablito ne cesse de regarder chaque millimètre carré du tableau pour composer son « image totale » à partir des prises d’images partielles digitalisées, 24.000 pour chacune des cinq séries — deux en infrarouges, une en ultraviolette, une autre en lumière visible, une dernière multi spectrale. Voici donc le dernier cri de la science pour tenter de révéler les secrets de l’autre cri, celui-ci plus muet encore, qui traverse l’horreur de la scène chiffrée par Pablo Picasso dans sa peinture. On sait que Picasso lui-même avait insisté pour ne rien dire d’un supposé symbolisme des images du tableau ou bien de sa référence, plus ou moins implicite, aux événements de la réalité d’une guerre qui a marqué l’histoire de l’Espagne. Le Gernika est ce qu’il est, comme le Dieu biblique, devenu symbole de toutes les guerres et de tous les désastres que la pulsion de mort nous présentifie dans la contemporanéité. Mais Pablito, lui, ne le sait pas. Chaque nuit, quand tous les visiteurs et les fonctionnaires du musée sont déjà partis chez eux, Pablito reste là pour reprendre sa tâche précise avec la recollection constante des données qui seront soigneusement analysées à la recherche de toutes les blessures, de tous les gestes et de leurs modifications, de tous les avatars qui ont marqué la vie de la toile et ses pigments dès sa naissance. C’est ainsi, on suppose, qu’on pourra déchiffrer les secrets qui sont restés cachés à tous les regards des observateurs jusqu’à aujourd’hui dans la toile. On espère que l’information que Pablito nous offrira, dûment élaborée, sera cruciale pour suivre l’analyse la plus détaillée et jamais faite du tableau. L’idée n’est pas seulement d’analyser l’histoire « matérielle » du Gernika mais d’arriver à disposer presque d’un clone de celui-ci, d’une image digitalisée jusqu’au dernier détail, jusqu’à la dernière particule. Il ne s’agit donc pas d’une simple reproduction du tableau ou de sa meilleure photographie possible. C’est le projet d’en faire un mapping total, —tel qu’on essaye de le faire avec le cerveau avec les techniques de neuroimaging—, c’est l’essai de répéter son image réelle dans une image digitalisée qui puisse se comporter comme la première mais en dehors du temps qui lui a fait subir ses érosions.
Tel le rêve —ou plutôt le cauchemar— que les neurosciences actuelles pensent réaliser en interprétant le sujet de notre temps à partir de l’imagerie par résonance magnétique du cerveau. Donc, la techno-science tente ainsi de transformer le Gernika original, -dont tous les diagnostics indiquent aujourd’hui qu’il est en très mauvaise santé-, en une sorte de portrait de Dorian Gray à l’égard de son double digitalisé. Et celui-ci sera alors un portrait plus réel, qui ne vieillira jamais, un double qui deviendra alors le vrai original, son être vrai qui traversera le temps, les guerres et les désastres avec une allure toujours fraîche et renouvelée ! Et Pablito —dix mètres de large, cinq de haut, 1.560 kilos— en sera, sinon le père, du moins le propitiateur virtuel, le générateur technique qui d’ailleurs va nous permettre de naviguer par tous ses coins et ses reliefs. Bonne nouvelle donc — le réel de l’image viendra à la place de l’image réelle du tableau pour nous révéler son essence finale avec une exactitude scientifique, comme la figure d’un Autre de l’Autre qui cesserait de ne pas exister, comme le sens le plus vrai et original de tous les Gernika qui sont disséminés dans le monde.

Un Autre de l’Autre ? Quelle ironie ! Justement ces jours-ci, la figure presque héroïque du juge Baltasar Garzón vient incroyablement d’être démise de ses fonctions en Espagne pour onze ans, par un tribunal dont malheureusement il n’a pu récuser la composition auprès du Tribunal Suprême, le tribunal des tribunaux espagnols. Justement ces jours-ci, les banques, dans un coup d’état bancaire de dimensions européennes, exécutent des hypothèques à un rythme infernal, des hypothèques qui tombent du ciel comme des bombes sur la population civile pour démolir ses logements. Justement ces jours-ci, les semblants qui ont plus ou moins tenu dans la difficile transition du franquisme à la démocratie — celui de la monarchie d’abord— sont en train de montrer ses fentes et ses blessures sans rémission possible.
Bien sûr, la principale mission de Pablito, très utile, est d’offrir un aperçu le plus précis possible de l’état actuel d’un tableau qui, déjà à l’époque de son auteur, ne supportait pas très bien les voyages et les déplacements. Mais la spéculation scientiste s’est déjà lancée sur les nouvelles interprétations qui seront à découvrir sur le sens le plus intime de Pablo Picasso au moment de s’engager dans la réalisation du tableau. Dans cette perspective, Pablito, lui, reprend patiemment chaque nuit sa lecture aveugle et illettrée du Gernika de Pablo Picasso, comme un géant du savoir oraculaire qui nous dira un jour la vérité sur sa vérité...

Mais, attention, un peu plus loin que le Museo de Arte Reina Sofía, dans la même ville de Madrid, dans le noble Museo del Prado et dans une frappante synchronisation avec le précis travail de Pablito, on vient de découvrir un autre clone qui n’a pas eu besoin du même Pablito pour voir le jour. Selon les spécialistes, il serait l’une des plus importantes découvertes de l’histoire de l’art. Il s’agit de l’Autre Gioconda, la Gioconda de El Prado qui a été redécouverte avec grande surprise dans ses dépôts. On la connaissait déjà, il est vrai, elle avait été même exposée dans les galeries du musée, mais on n’avait pas remarqué le savoir qu’elle avait caché plus de cinq-cents ans durant aux yeux de tous sur la vérité de la Gioconda. L’une, celle du Louvre. La vraie Mona Lisa, comme on la nomme déjà en Espagne avec un certain optimisme, l’Autre de la Gioconda, aurait été peinte par un disciple de Leonardo da Vinci dans le même atelier du maître, devant le même modèle et au même moment que l’original, seulement avec un petit changement de perspective qu’on a pu arriver à repérer dans la comparaison précise des deux tableaux. La découverte a été faite per via di levare, c’est-à-dire en retirant les couches de peinture noire qui avaient été déposées -en raison du goût de l’époque - deux-cents ans plus tard sur le paysage, un paysage du nord de l’Italie, qui fait le fond du fameux portrait. « C’est un paysage extraordinairement similaire à l’original », remarque le chef du Département de Peinture Italienne de la Renaissance du Musée de El Prado, Monsieur Falomir, —attention au nom qui évoque, en espagnol, le regard du phallus—, un paysage qui est resté beaucoup mieux conservé, ainsi que dans les autres parties du tableau, dans la copie que dans l’original.
L’original ? Mais où est donc ici l’Une et où est l’Autre de l’Autre ? Parce que, — première découverte—, la Gioconda de El Prado n’est pas une copie, une de plus de celles qui se sont multipliées partout dans le monde, mais un original, un second original si l’on veut mais aussi original que l’Autre, l’Une à qui elle peut disputer maintenant son originalité pour la faire devenir, à son tour, Autre... pour elle même. La Gioconda de El Prado, beaucoup mieux conservée par les couches de peinture qui l’ont gardée des blessures du temps, permet de voir une femme, —seconde découverte—, beaucoup plus jeune que celle du Louvre, pas plus de vingt ans d’un côté, contre trente- cinq environ de l’autre. On l’a remarqué, Lisa Gherardini, l’épouse du riche marchand florentin nommé Francesco del Giocondo, pourrait être fille d’elle même en tenant compte des deux portraits faits au même moment. La Gioconda de El Prado garde ses sourcils intacts, ainsi que sa peau pas encore fendue par le pas du temps. Ici aussi, l’original devient une sorte de Dorian Grey par la présence d’une copie qui la fait devenir distincte d’elle-même, sujet divisé en fin.
Donc, enseignement pour la psychanalyse et au-delà — il n’est pas besoin de Pablito pour faire apparaître ce sujet divisé, entre la douleur, la jouissance et la femme, dans notre monde contemporain, dans ce siècle où l’ordre symbolique n’est plus, il est vrai, ce qu’il était, ce qu’il avait été, toujours, distinct de lui-même.


2 comentaris:

Vicent Llémena i Jambet ha dit...

Ací es mostra la importància, senyor Bassols, d'allò simbòlic, no és l'important l'imaginari del cuadre, el cuadre en sí tant o igual com el simbòlic que hi ha en ell.
Ara la figura de la Gioconda, que ha estat la representació de la bellesa i el somriure enigmàtic esdevé una dona vella, és la mateixa irreductibilitat del mal de que parla Jorge Alemán, el mal està dins i fora de nosaltres com un virus o bactèria beatífica que ens conforma per a bé i per a mal.
Allò del clon és un intent com em va dir un amic tot parlant d'un nou cuadre d'un nou Crist, el de la postmodernitat la imatge sagnant d'un costat del cos d'un Crist amplificada. Era una referència a una altra meua sobre el Crist de Cadaquès de Dalí.
Bé, el subjecte està sempre dividit i més al discurs capitalista entre la dona, el dolor i el gaudi, i en totes les seues manifestacions i paradigmes.

El deixe per hui senyor Bassols, una forta abraçada des de València.

Vicent

truonghieunghia ha dit...
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