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05 de febrer 2014

Hystoires du réel



















En lisant un certain nombre de textes parus dans Papers et sur le Site du Congrès je me suis posé une question qui, d’ailleurs, m’a été adressée lors du dernier ENAPOL à Buenos Aires, ce mois de novembre passé*. C’est une question apparemment paradoxale, même un peu naïve, mais qui contient aussi un petit piège : est-ce que nous pouvons faire — et même parler — une histoire du réel ?

La question serait beaucoup plus simple si elle portait sur le registre de l’imaginaire ou sur celui du symbolique. Notre dernier Congrès était, en effet, dédié à « L’ordre symbolique au XXIe siècle » avec comme sous-titre : « n’est plus ce qu’il était ». Le symbolique, en effet, n’est plus ce qu’il était. Voilà qui nous indique déjà qu’il y a une histoire du symbolique, même si on la fait nécessairement à partir d’un moment symbolique précis : celui du XXIe siècle où les choses ne sont plus vraiment ce qu’elles étaient auparavant. Néanmoins, on sait que ce sentiment a été aussi celui d’autres moments de l’histoire, c’est un sentiment qui fait partie du symbolique même, avoir le sentiment que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient.

Pouvons-nous dire la même chose sur le réel ? Le réel, n’est-il pas justement toujours le même ? — le réel qui revient toujours à la même place, comme cet impossible qui « ne cesse de ne pas s’écrire ». Dans cette perspective le réel n’a pas d’histoire, il est justement ce qui échappe a toute historie possible. Il n’y aurait donc aucune possibilité de faire une histoire de ce réel ; ce réel qui reste comme impossible à représenter, que ce soit dans l’ombilic du rêve, dans le noyau du symptôme, dans celui du fantasme ou dans toute autre construction symbolique.

Dans cette perspective, on aurait du mettre aussi un sous-titre au thème du prochain IXe Congrès sur le réel, un réel qui serait donc « exactement ce qu’il était », un réel qui reste toujours le même. Mais cela ne serait pas très passionnant d’assister à un Congrès où l’on ne parlerait que du « toujours le même » !

Non, décidément, notre IXe Congrès ne sera pas celui du « toujours le même » et on peut déjà le constater en lisant les Textes d’orientation, les Papers et, bien sûr, l’excellent Scilicet où l’on trouve bon nombre de nouveautés.

En fait, le titre choisi par Jacques-Alain Miller pour le Congrès nous met déjà dans une autre perspective que celle du « toujours le même »: « Un réel pour le XXIe siècle ». Un réel — il pourrait donc en avoir un Autre. Pour le XXIe siècle — ce n’est pas le même qu’au XXe où au XVIe siècle, avant la naissance de la science.

On peut lire, par exemple, le texte de Florencia Fernández, « Un réel pour l’époque geek », ou bien celui de Mercedes Iglesias, « La science et le réel », dans Papers nº 1, pour s’en apercevoir. Dans le premier, on peut repérer un réel qui fait toujours un événement nouveau, et dont — je cite — « l’acte analytique propose de répondre avec l’invention, tout en saisissant l’occasion pour faire place à l’avènement d’un réel ». Dans le second, on peut suivre le fil d’un discours de la science qui —je cite— « n’est pas seulement lecture de la nature, étant donné que son savoir est dans la position de déterminer le réel », ce qui veut dire aussi « qu’il le transforme ».

Donc, il ne s’agit pas ici d’un réel qui reste toujours à la même place mais d’un réel qui se transforme, qui fait invention et avec lequel on peut toujours faire une rencontre inattendue, toujours à une autre place que celle où l’on l’avait repéré avant. Dans cette perspective, on rencontre le réel comme contingence, un réel dont la rencontre même est marquée par « ce qui cesse de ne pas s’écrire ».

Dans cette perspective, nous sommes pris dans ce mouvement de l’enseignement de Lacan qui avait fait du réel une invention, son invention à lui, et même son sinthome. C’est justement dans le Séminaire qui porte ce nom que l’on peut lire : « J’ai inventé ce qui s’écrit comme le réel » (p. 129). Et un peu plus loin : « c’est là quelque chose dont je peux dire que je le considère comme n’étant rien de plus que mon symptôme » (p. 132).

Dans cette ligne, on pourra lire aussi avec intérêt le texte de Simone Souto, paru dans le nº 2 de Papers, « Le réel est un réel : la non existence du rapport sexuel et le sinthome ».

Face à ce réel de la contingence, de l’invention, face à ce réel lacanien du sinthome, ce réel qui se montre d’ailleurs sans ordre ni loi, on ne voit pas non plus comment on pourrait en faire l’histoire.

On pourra en faire plutôt l’hystoire, avec la lettre grecque y, tel que Lacan a proposé de l’écrire en faisant une condensation avec le sujet hystérique qui garde toujours son lien au désir de l’Autre. Cette hystérisation est, et sera toujours, une condition de l’analyse, du sujet analysant qui fait de cette analyse son histoire. Tel que l’a indiqué Jacques-Alain Miller, c’est dans cette voie que « l’analyse recourt au sens pour résoudre la jouissance ». Mais l’analyste qui peut en résulter serait justement « quelqu’un pour qui son analyse lui aurait permis de démontrer l’impossibilité de l’hystorisation […] et qui donc pourrait donner témoignage de la vérité menteuse sous la forme de serrer le décalage entre la vérité et le réel »[1] .

Avec la vérité, il est vrai, on peut toujours faire des histoires. Donc, s’il y a une histoire de la vérité, plus qu’une vérité de l’histoire qui serait toujours un semblant, c’est dans la mesure où n’y a pas d’historie possible du réel, mais seulement son hystorisation —avec la lettre y— propre à chacun selon son rapport au transfert et au désir de l’Autre. C’est bien ce rapport au transfert et au désir de l’Autre qui nous fait croire qu’il y a un destin, un destin du transfert et un destin aussi de la psychanalyse dans l’histoire.

Mais, en fait, du côté du réel on devra toujours admettre qu’il n’y a pas de destin mais seulement des rencontres, dans la contingence la plus hasardeuse.




*Texte présenté à la soirée de Conversation sur le IXe Congrès de l'AMP, à l'École de la Cause freudienne, le 3 février 2014.

[1] Jacques-Alain Miller, Cours 2008-2009, “Choses de finesse en psychanalyse”, (21/01/2009).

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