par François Ansermet et Miquel Bassols
Ce texte est la contribution ou « written statement » présentée par l’Association Mondiale de Psychanalyse, —avec « consultative status » dans l’Organisation des Nations Unies—, au 2013 High Level Statement de l’ECOSOC (Economic and Social Council) qui se tient à Genève, 1-4 Juillet 2013.
Si l’on doit distinguer de plus en plus
entre effets de la science et effets de la technologie c’est dans la mesure où
le dernier siècle a vu naître une nouvelle alliance entre le pouvoir politique
et le savoir scientifique*. Les effets de la technique sur le sujet de notre
temps vont bien plus au-delà de la volonté de savoir qui avait orienté le
discours scientifique dès sa naissance et ils gouvernent déjà les domaines les
plus intimes de notre vie (les formes de communication et de lien social, les divers
versants de la santé, aussi de la santé mentale, les choix de la descendance,
etc.) Ce qu’on a désigné de façon plus ou moins réussi avec le terme de technoscience répond à cette nouvelle
époque des incidences du savoir scientifique sur les formes de vie. Son commencement
peut être daté dans le tournant historique représenté par le rapport Vannevar
Bush (1945), qui a établie les principes et les lois de la big science, avec les nouvelles conséquences de la recherche scientifique
dans chaque contexte social et politique.
Dans cette nouvelle époque, les
scientifiques eux-mêmes sont confrontés à des nouveaux problèmes éthiques, non
pas seulement sur l’usage qu’on pourra faire des avancés de la science mais sur
la nature même de son expérience. Le surgissement des comités d’éthique dans
les années 80’ et son extension progressive a été un signe que les avancés
scientifiques doivent être accompagnés d’une analyse et d’une suivie de plus en
plus large et intensive des effets de la technoscience sur le sujet de notre
temps.
Un
exemple est celui de la médecine digitale qui repose sur un partage des
données, en particulier à travers des bio-banques on line. Des sites tels que Patients-LikeMe ou Carenity proposent de partager les dossiers médicaux afin de créer
une immense banque de données, ou le cas de chacun contribue à l’ensemble.
Cette vision fait éclater le secret médical, son colloque singulier, pour aller
vers une médecine participative à travers le Web où des réseaux sociaux vont se
constituer autour de symptômes ou de maladies, aboutissant à une nouvelle
constitution du savoir, mais aussi une universalisation du sujet où chacun
pourrait perdre paradoxalement le sens de son existence singulière.
De telles possibilités technologiques peuvent provoquer
la production de nouveaux symptômes qui vont émerger de sujets pris dans
les vertiges induits par les avancées des technologies contemporaines et les
dimensions impensables qui en résultent, points de butée autant pour ceux qui
en bénéficient (ou qui les subissent) que pour ceux qui participent à les
produire.
La
science bute aujourd'hui sur les conséquences de ses propres développements:
d'où l'appel aux commissions d'éthique. Mais il faudrait aussi en passer par la
confrontation avec la façon dont les sujets vont faire face à cela,
c’est-à-dire faire retour à la clinique telle que la psychanalyse la conçoit,
centrée aussi sur les solutions que peut inventer celui qui se confronte à
l’expérience d’un réel qui le dépasse.
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