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17 de juliol 2022

La Passe Une

¿Por qué el mar se ve azul y no transparente?

Texte publié dans le Blog de la Passe de l'ECF nº 111


« On ne fait la passe qu’une seule fois. » Comme l’indique Anaëlle Lebovits- Quenehen dans sa « Rédaction des arguments... », « c’est sans doute la proposition décisive du nouveau règlement »[1].
On peut lire cet énoncé comme une règle à suivre, une indication, ou même comme une prescription qui suppose une interdiction : on ne doit pas faire la passe deux, trois, quatre, fois. Les dés ne peuvent être lancés une fois, puis une autre, jusqu’à y arriver, style : « Voilà, enfin double six ! »

Cet énoncé peut également être lu comme la révélation d’un fait, celui d’un acte irréversible, performatif, non répétable, style : « On ne vit qu’une seule fois. » Si on ne fait la passe qu’une seule fois, c’est parce qu’on doit, « comme la mer », toujours la recommencer. Recommencer, ce n’est pas faire de multiples tentatives, c’est s’en tenir à une, obstinément, faite de chaque rencontre avec le réel... Inutile alors de s’en tenir à telle ou telle prescription, étant donné qu’il n’y a pas de sens à revenir sur ses pas. On n’y reviendrait que pour les effacer sans pouvoir en tirer les conséquences, les effets de ces pas étant, en fait, le sujet même de la passe. S’il y a eu vraiment acte, dont le sujet s’est trouvé transformé, les conséquences de cet acte doivent être tirées, même si on les tient pour « injustes ». Elles n’en sont pas moins véritables. Il revient au passant de tirer un enseignement des conséquences de cet acte et de les transmettre, si la passe a été vraiment un acte pour lui.

Ce sont là deux lectures différentes de l’énoncé du règlement. Elles dépendent de la place du sujet de l’énonciation par rapport à l’expérience de l’École. La place d’où l’on dit et d’où l’on entend cet énoncé est cruciale. Aucune règle ne préside à ce choix. La règle existe, mais la règle pour décider de comment lire la règle n’existe pas. Autrement dit, il n’y a pas d’Autre de l’Autre. Dans cette perspective, le projet de règlement de la passe est, sur ce point aussi, clair et limpide, impeccable.

C’est la passe Une fois, sans une Autre fois. [2]

La passe, transindividuelle

Loin d’être une expérience individuelle, en accord avec le statut de l’inconscient, la passe est une expérience transindividuelle, du collectif et sur le collectif. Certes, il n’y a pas d’inconscient collectif, mais le sujet, lui, est transindividuel. Et cela dans le sens que Lacan avait donné au terme « collectif », un an avant de proposer le dispositif de la passe, « comme sujet de l’individuel »[3]. Définition qui peut paraître paradoxale, mais sans laquelle on ne pourrait rien comprendre de l’École comme Un sujet, de l’École-sujet telle que Jacques-Alain Miller l’a formulé, non pas comme un groupe ou une entité abstraite, mais comme une expérience de transfert de travail collectif, avec son sujet supposé savoir à l’œuvre.

Sans tenir compte de ce sujet de l’individuel, il serait également difficile de comprendre la fonction si importante du passeur dans le dispositif de la passe. Le passeur est, en fait, celui qui doit savoir porter la marque de la singularité de ce sujet qui dit avoir fait la passe... sans l’avoir faite encore lui-même.

Quel est donc le sujet de la passe ? C’est à cette question qu’il faut à nouveau revenir. Ce sujet traverse chacun des membres qui individuellement font partie du dispositif – secrétaire, passant, passeur, commission ou cartel de la passe – dispositif qui, pas pour rien, implique au moins trois places en jeu pour parvenir à un jugement sur la transmission du témoignage. Mais, comme l’a indiqué J.-A. Miller, l’essentiel dans la procédure de la passe n’est pas «le caractère indirect du témoignage» mais « l’implication des passeurs dans la décision »[4]. Il n’y a donc pas de transmission objective – même en lisant une transcription intégrale des dits du passant –, séparée du sujet supposé savoir, du sujet de l’énonciation. Il y a plutôt décision, choix, sur le sujet de la passe lui-même, et cela d’un bout à l’autre de la procédure. La fonction de passeur est donc si importante que nous savons maintenant, grâce à J.-A. Miller, que l’idée initiale de Lacan, restée inédite et inappliquée, était que les passeurs eux- mêmes nommeraient le passant Analyste de l’École ! Nous n’en sommes jamais arrivés jusque-là, mais on peut se demander si cela ne doit pas demeurer l’horizon du travail des cartels de la passe : savoir extraire et entendre cette décision des passeurs, ce sujet de la passe.

La désignation et la sélection de la liste de passeurs supposent donc un calcul collectif inhérent à l’expérience de la passe, un calcul qui devient capital pour l’École- sujet comme différent d’un groupe.
C’est la Passe Une, mais toujours ici avec l’Autre, l’École-sujet.

La passe, analyseur de l’École-sujet

Dans cette perspective, la procédure de la passe est une sorte d’analyseur de l’École-sujet et non pas seulement la façon, qui reste la meilleure que nous ayons trouvée, de nommer des Analystes de l’École. C’est là où le réel du groupe analytique peut faire symptôme de la bonne façon, dans ses inerties et ses dysfonctionnements, dans ses dérives et ses trébuchements, une façon qui puisse être élaborée et traitée par l’École.

Et c’est aussi pour cette raison que l’enseignement d’un AE ne pourra jamais se réduire à la répétition d’un témoignage, si singulier soit-il dans ses variations, si précieux soit-il cliniquement, sans inclure une interprétation – au moins une –, de l’expérience de ce sujet qu’est l’École comme sujet de l’individuel. Spécialement quand les effets de groupe se produisent par rapport à l’orientation de l’École Une.

Et plus spécialement encore quand ceux qui sont censés faire un enseignement de la passe se trouvent reconnus dans une «séquence» prévisible, dans un supposé consensus sans critique réciproque, dans «la répétition et la façon de parler ‘‘passe’’ », ainsi que l’a indiqué Éric Zuliani dans son « Introduction au projet de règlement de la passe »[5].

Dans cette conjoncture, bienvenus les ratages dans l’expérience de la passe. C’est la passe Une, toujours recommencée.


1- Lebovits-Quenehen A., « Rédaction des arguments – Sélection des échanges au sein du collège de la passe », ECF-Débats, 27 juin 2022.

2- C’est ainsi que le « saint tombé » l’avait appris jadis, une fois.

3- Lacan J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 213, note 2.

4- Miller J.-A., in « Compte-rendu de la première session du Collège de la passe. 8 et 9 janvier 2022 », Le Blog de la passe, n° 16, 20 janvier 2022.

5- Zuliani É., « Introduction au projet de règlement de la passe », ECF-Débats, 20 juin 2022.


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