Pàgines

06 d’agost 2008

Lecture de « La légende des gènes »







Gérard Lambert
La légende des gènesAnatomie d’un mythe moderne.
Dunod, Paris 2006

Rappelons d’emblée la définition du réel tel que Jacques Lacan l’avait formulé pour la psychanalyse: ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Elle suppose le lieu d’une écriture, une sorte de page blanche qui ne cesse pas de ne pas être écrite, mais aussi la place de celui qui en tout cas pourrait lire... ce qui cesserait de ne pas s’y écrire. Tel est le réel, posé comme impossible à représenter ou bien à imaginer, que la psychanalyse obtient dans son expérience et que Jacques Lacan lui-même avait énoncé : il n’y a pas de rapport sexuel qui puisse s’écrire.
La question maintenant est si le réel de la science, ce réel qu’elle trouve déjà symbolisé, déjà signifiantisé par l’appareil dont elle s’arme pour le calculer ou bien pour le modifier, si ce réel qui s’écrit plutôt à mesure qu’on le rencontre, comme le pile ou face dans la série de lancements de la monnaie, éclipsera de façon partielle ou totale le réel que la psychanalyse pose comme irréductible et qui est au coeur du sujet de la parole et de la jouissance. C’est ce sujet enfin qui sera toujours dans le pari et dans l’effet du lancement en question.
L’hypothèse est que ce réel et ce sujet, forclos dans le champ de la science, fait son retour dans une série de phénomènes dont le moins qu’on peut dire est qu’ils offrent à la psychanalyse l’occasion d’y lire des nouveaux symptômes contemporains. L’hypothèse prend tout son relief si on tient compte que cette « forclusion » du sujet – tel est le terme que Lacan avait utilisé pour désigner cette opération inhérente à la constitution de la science moderne – laisse justement ce réel de la psychanalyse à l’état de page blanche dans le champ de la science, elle-même ne cessant pas de ne pas s’écrire. Et c’est donc au titre d’un retour de ce genre que le réel de la psychanalyse suppose quelqu’un qui puisse le lire comme un symptôme du sujet contemporain, le meilleur en tout cas dont nous disposons pour lui faire les autres, - les autres symptômes qui lui font souffrir – plus supportables.

Le livre intitulé La légende des gènes pourra aider sans doute à cette lecture. Parce qu’en effet, une légende est quelque chose qui se donne à lire toujours avec un grain de vérité. Le gène, serait-il donc une légende ? Pour y lire quoi ?
Si on veut se rapporter d’abord à une définition du terme « gène », on rencontre aujourd’hui une situation pareille à celle que le psychanalyste Edward Glover avait rencontré dans la communauté analytique dans les années trente au moment de passer un questionnaire sur les principes de la technique psychanalytique : « Au bout du compte, il est impossible de donner une définition univoque d’un terme auquel les scientifiques, autant que les profanes, ont quotidiennement recours. Personne ne sait exactement ce qu’est un gène. Le mensuel La Recherche a illustré cette ambiguïté contemporaine en demandant à dix-huit spécialistes de fournir leur propre définition du gène. La variété des réponses témoigne de la difficulté à préciser une notion qui paraissait acquise à tous » . Il y a, en tout cas, un point d’accord sur ce qui n’est pas un gène, même si elle avait été sa définition initiale donnée par Mendel, celle du caractère héréditaire. Et, quand même, c’est la notion qui est resté dans le langage courant comme un malentendu irréductible : on parle de la transmission héréditaire du gène du diabète, du gène des yeux bleus, voire du gène de l’homosexualité comme quelque chose qui va de soi... Et c’est justement l’équation gène = caractère, dans tous les sens du terme « caractère », ce qui est mis en cause par la biologie génétique actuelle. On nage donc dans ce malentendu, et les généticiens mêmes ne savent pas très bien comment faire avec lui.
Mais c’est aussi dans ce malentendu qu’on peut déjà lire ce qui se transmet dans la légende. C’est l’idée qu’il y a quelque part un caractère qui se transmet, une lettre, une écriture, un message plus o moins codé, qui représente, s’il ne l’est même pas, un attribut de l’être, qualité ou maladie. C’est là, en effet, que quelque chose cesse de ne pas s’écrire pour devenir un message qui se donne à lire. Mais, attention, c’est la logique du signifiant dans tout ce qui doit à la structure symbolique du langage qui gouverne cette opération. C’est une opération qui, du réel, extrait un effet de signifié à force d’y avoir introduit le signifiant. C’est un pas énorme, et c’est le pas où la psychanalyse repère à son tour un réel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et dont le sujet sera toujours une réponse comme effet de signifié.
Parce que dans cet effet de langage qui est le « caractère héréditaire » il y a enfin le sujet qui reste comme la page blanche qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et qui décide finalement du sens de ce qui cesse de ne pas s’y écrire.

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